art -- poetry in your eyes

( https:// ) c'est un bébé forcé, de ceux que l'on fait parce que c'est comme ça, tout le monde le fait. elle n'a pas le sentiment d'avoir jamais véritablement été aimée par ses parents, si rapidement calée entre les bras d'une nounou, puis d'une autre, et d'une autre. au fond, artémis, elle a eu plusieurs mères, mais seulement de passage, jusqu'à ce que ses parents trouvent quelque chose à redire, s'imaginant de l'argenterie volée, des soins mal administrés. elle n'a eu de père que lorsque cela pouvait servir la compagnie: sourire pour les associés, s'asseoir des heures durant pour écouter des réunions auxquelles elle n'était conviée qu'en tant que faire-valoir. -- sa scolarité a oscillé entre écoles privées et précepteurs, selon si la famille faisait la tournée des entreprises ou s'installait, quelques temps, dans une ville importante. elle a vécu un an à paris, deux à washington, quelques mois en chine,... mais a passé la majorité de son enfance dans des hôtels, ou leur villa londonienne. elle a pris goût aux voyages, et, tout à la fois, le dépaysement l'a empêchée de former des amitiés solides. l'enfance fut majoritairement solitaire, de quoi lui faire regretter d'être fille unique. -- son père est détenteur d'une multinationale dans le secteur technologique, passée de mains en mains depuis des générations d'hommes marlowe. et, si elle n'a jamais trouvé grand intérêt aux affaires, artémis a pris soin d'en apprendre un maximum. il a toujours été clair qu'elle n'hériterait pas du rôle de CEO, elle devrait se contenter d'en être l'épouse souriante et trop idiote que pour prendre la tête des opérations de sa propre famille, mais elle a mis un point d'honneur à comprendre, déterminée à prouver, le jour venu, qu'elle en était capable. le moment venu, on lui a ri au nez, de quoi la conforter dans ses plans d'évasion. -- art, elle s'est toujours refusée à ne rien savoir faire de ses dix doigts, plus par ennui profond que par réelle envie d'indépendance, mais soit. elle s'est souvent trouvée dans les pattes de la cuisinière, ou à regarder par-dessus l'épaule de la femme de ménage. elle a appris à tenir une maison et, plus tard, elle a entrepris des études: droit à la sorbonne, anthropologie à londres, musicologie et histoire à washington, elle n'est jamais parvenue au bout du moindre cursus mais cela l'a tenue occupée, et instruite. -- la première fois qu'il a été question de la marier au premier gosse de riche venu, elle soufflait vingt bougies sur un gâteau bien trop gros, entourée d'inconnus (le business ne dort jamais, disait son père, alors pourquoi ne pas profiter de l'anniversaire de sa fille pour organiser une vaste réunion entrepreneuriale, c'était comme ça tous les ans). se tournant vers le seul de ses amis convié, ou plutôt la seule personne ayant approximativement son âge, il ne fallut pas plus d'une heure avant qu'on ne leur parle de fiançailles. l'idée la révoltait, art, mais elle n'a pas vraiment eu le choix. les pertes importantes de l'entreprise qu'ils étaient supposés lier à celle de marlowe ont mis fin aux préparatifs du mariage et, artémis, elle a cru être miraculeusement épargnée. -- puis est arrivé rafael, lorsqu'elle avait vingt-quatre ans. un voyage en tête-à-tête avec son père a tourné au test, la rencontre organisée avec le grand, le beau, le superbe rafael, présenté comme détenteur de toutes les qualités du monde, comme si cela pouvait adoucir la nouvelle de leur mariage prochain. rafael, l'inconnu, le premier venu, l'héritier d'un empire, son fiancé. elle a eu beau faire traîner les préparatifs, se montrer capricieuse au possible, criser à chaque proposition faite par les wedding planners, elle n'a pas pu faire annuler l'impression des fair-parts. ni père ni mère n'ont cru bon de remettre leur plan en question. elle l'épouserait, rafael, les larmes aux yeux s'il le fallait – après tout, les gens pleurent aux mariages, cela ne choquerait personne. -- la simple idée de porter son nom la répugnait. son fiancé était un enfoiré, elle l'a deviné à la seconde où il lui a été présenté, et cela n'a fait que se confirmer. la première fois qu'il a levé la main sur elle, elle a couru chez ses parents, qui ont eu vite fait de la repousser dans ses bras en lui trouvant toutes les excuses possibles. la deuxième fois, elle en a pleuré toute la nuit, persuadée que ce serait désormais sa vie, qu'il rentrerait alcoolisé, nuit après nuit, d'une énième soirée, et qu'elle attendrait sagement d'entendre ce qu'il pouvait bien avoir à lui reprocher, cette fois. la quatrième fois, elle a commencé à planifier sa fuite. -- le soir de son départ, alors qu'elle avait tout prévu, faux papiers et aller-simple pour l'allemagne en mains, il est rentré plus tôt. les valises devant la porte et sa fiancée prête à partir l'ont mis hors de lui, et art s'est réveillée à l’hôpital deux jours plus tard. des côtes et un bras cassés, en plus des hématomes à peine effacés témoignant d'assauts passés, n'ont pas suffit à faire condamner le fiancé violent. elle a compris qu'elle ne survivrait pas à la vie auprès de lui. -- une prétendue chute dans les escaliers plus tard, les préparatifs ont repris, la date du mariage arrivant à grands pas, le temps jouant contre elle, tout comme les faux papiers brûlés par rafael et sa cachette allemande trouvée et revendue. il lui a fallu aller à l'essentiel, avec des moyens moindres à sa disposition et une poignée de semaines pour mettre les choses en place. elle a choisi chicago, et quitté londres quelques nuits après sa sortie de l’hôpital. elle a pris le train jusqu'à l’océan, un bateau jusqu'au continent, et fait du stop jusqu'à chicago. elle n'a pas profité de l'aventure, de sa liberté, art, toujours à regarder par dessus son épaule, se méfiant de tout et tout le monde, persuadée qu'il faudrait moins de temps à son père pour la retrouver qu'il ne lui en faudrait pour parvenir à destination. elle se trompait, et vit depuis huit mois cette petite existence normale, banale, qui l'émerveille chaque jour. -- elle s'est installée en collocation, un choix plus financier qu'autre chose mais elle a appris à apprécier la vie en communauté, l'impression de se rendre utile et le fait d'être plus entourée qu'elle ne l'a jamais été. -- sa famille, elle n'en parle plus. morts, c'est ce qu'elle prétend lorsqu'on lui demande. tous morts, un tragique accident peut-être, parfois un terrible ouragan, un effondrement d'autres fois. morts, qu'elle dit avec un faux tremblotement dans la voix. les mensonges lui viennent aisément, ç'a toujours été le cas, mais il s'agit désormais d'un réflexe, elle invente des histoires et des vies, rarement la même auprès de deux personnes. -- peu importe à quel point elle s'efforce de rester impassible, le plus infime changement de ton la fait sursauter, et elle recule au moindre geste un peu brusque dans sa direction. elle pleure, des rivières de larmes dans l'intimité relative de sa chambre, ou sous la douche, après une journée un peu trop dure, une frayeur un peu trop grande, un énième flashback. -- au bar, elle se méfie des gros buveurs et fait systématiquement en sorte de ne pas finir seule avec eux en fin de journée, quitte à demander à un habitué moins éméché de rester un peu.

- - elle a raté son permis trois fois, et a fini par se résigner à emprunter les transports en commun toute sa vie. au final, elle est plutôt adepte du vélo. // regrettant de ne pas savoir jouer d'un instrument, elle a entrepris des cours de piano à son arrivée à chicago. pour l'heure, ce n'est pas très glorieux. // elle sait coudre, broder et tricoter, un passe-temps partagé avec sa mère, qu'elle pensait pouvoir impressionner de la sorte. // elle joue au volley depuis le lycée et a sauté sur l'occasion de rejoindre un club à chicago. // elle lit au moins un livre par semaine, souvent plus. elle aime tout, mais il y a dans son cœur une place toute spécifique pour les poètes français. // la fuite l'a forcée à se désintoxiquer des réseaux sociaux, elle n'a plus aucune présence en ligne. // elle a une peur bleue des punaises. elle se trouve totalement pétrifiée lorsqu'il y en a une sur elle. étonnamment, elle est capable de mettre la plupart des autres insectes, et même les petits arachnides, dehors à mains nues. // fan de football (et pas soccer, thank you very much). // elle n'a jamais eu d'animal de compagnie, et tente de ramener tous les chats qui trainent dans la rue chez elle, toujours déçue lorsqu'elle découvre qu'ils ont déjà une famille. depuis quelques semaines, elle tente d'apprivoiser un chat errant en bas de son immeuble en lui déposant à manger plusieurs fois par jour. // elle a toujours un écouteur à l'oreille, mais n'ose jamais porter les deux et ne pas être en mesure d'entendre ce qui se passe autour d'elle. // elle ne boit pas, ou peu, inquiète à l'idée de perdre ses moyens. // elle n'a jamais aimé le poisson, mais n'ose pas dire non lorsqu'on l'invite à en manger.