tian, (maybe we're the bitter seeds that grow into a lemon tree)

1. la paille jusqu'au fond de ses bottes, jusque dans ses mèches noires. Le rire qui éclate et résonne dans l'air, fait tout vibrer, tout briller. Parce que c'est Lei. Soleil dans les yeux, rayons d'avril qui réchauffent sans étouffer, et l'odeur d'engrais dans l'air, ce sont ces journées là qui le marquent, la vie au ranch, la vie paisible. C'était le rêve parental, autant pour eux-mêmes que pour leurs enfants, revenir à la nature et à un mode de vie plus simple, plus posé. Leur éviter les grandes villes et l'agitation, le stress, la vie à toute allure. "La vie de cowboy", comme le lui ont dit à peu près tous les Chicagoans auxquels il a mentionné son enfance. C'était peut-être un peu idéalisé, mais il n'en garde que le positif, oublie les disputes quant au budget entendues au détour d'un couloir, oublie les sacrifices et pertes, et le fait que s'ils avaient vécu ailleurs ils seraient sans doute toujours quatre. 2. maman parle mandarin, papa anglais, l'apprentissage est naturel et c'est une fierté, bilingue avant de savoir rouler à vélo, bilingue malgré l'insistance des enseignants. il a toujours eu le coeur entre deux continents, avec Lei pour seule constante, pilier et seule personne au monde qui semblait pouvoir tout à fait comprendre le sentiment — rôles qu'il espère avoir tenus en retour. Il a toujours gardé contact avec la famille de sa mère, à Singapour, bien que les visites aient été trop peu nombreuses à son goût. 3. fourteen, c'est perdre une partie de soi et grandir. C'est plus, pour Lei, pour Tian. C'est perdre tout court, la vie, son frère. Ce sont les étapes qui défilent et se mélangent et le noient. L'incendie s'est déclaré en pleine nuit, malgré les précautions, malgré la prévention. Ils savaient, et ils étaient bien assez grands pour comprendre, qu'on ne joue pas avec le feu, moins encore dans la grange. Trop grands, peut-être, que pour respecter à la lettre ce qu'on leur préconisait. Pour penser que la situation pouvait leur échapper. Lei en a fait les frais une nuit de janvier, une cigarette à l'abri des regards et puis le fourrage en flammes. Le temps que l'odeur de fumée ne se répande, que les hennissements ne les réveillent, que la conscience retrouve son chemin entre les rêves: il était trop tard. La grange en partie effondrée, les gerbes de feu, et personne pour réaliser suffisamment tôt que quelqu'un manquait à l'appel. Dans la précipitation, l'adrénaline, on appelle les pompiers, les seaux jetés sur les flammes n'ont aucun effet, l'inquiétude est pour la maison — et si le feu se propageait, et s'ils perdaient tout ? On compte les chevaux, met les vaches à l'abri. Et  puis l'on se compte. Lei ? Perdu de vue, il a dû rentrer. Depuis quand ne l'a-t-on plus vu ? Pas dans la maison, son lit n'est pas défait. Lei ? Est-ce qu'il n'était pas derrière eux, est-ce qu'ils n'ont pas entendu sa voix ? Les appels restent sans réponse, les cris sans réaction. Il n'était pas à la maison, il n'était forcément pas à la maison, il va revenir, apprendre la nouvelle en ville et rentrer. Right ? 4. Et s'ils avaient été moins stricts ? Et s'ils avaient été plus attentifs ? Où serait Lei, s'il n'avait pas eu à se cacher, où seraient-ils tous ? Et s'ils avaient mieux surveillé, ou moins fait la leçon ? Si le ranch avait été mieux équipé, plus moderne, doté d'un détecteur de fumée, de meilleurs systèmes de sécurité. Toutes ces interrogations ont été tournées, retournées, hurlées, pleurées. Et s'ils avaient réalisé son absence plus tôt ? Comment n'ont-ils par réalisé plus tôt ? Ca tourne et tourne, encore aujourd'hui, sans doute à jamais. La colère qui s'est estompée mais qui revient, parfois, par pics, à défaut de pouvoir se laisser aller au déni. La culpabilité qui ne faiblit pas, il le voit, chez ses parents, même avec les années, même avec toute l'aide et les discussions, les indénombrables tentatives. L'impression d'avoir failli à leur rôle, pourtant choisi, pourtant aimé. Plus que tout, c'est l'impuissance, qui fait tout ce mal, qui rend toujours malade. Et l'acceptation ? Ils savent qu'il ne reviendra pas, savent qu'il ne peuvent plus rien y faire, n'ont techniquement jamais rien pu y faire, mais c'est comme un coup de poing au sternum à chaque fois qu'ils en rêvent, oublient une milliseconde que tout ce qu'il reste est sous leurs crânes. 5. Chicago l'a sauvé, Tian, d'une façon à laquelle il ne s'attendait pas, et que personne n'osait espérer. Sa réponse au traumatisme a été l'isolement, entre anxiété, symptômes dépressifs et insomnies, il était l'ombre de lui-même. Les jours suivants, l'enterrement, les mois et même pratiquement toute l'année ayant succédé à la mort de son frère sont flous, comme vécus dans un étourdissement constant, en autopilote. Il s'en souvient parce qu'il a fini par en parler, pour retrouver les moments perdus, pouvoir aller au bout du deuil interminable qu'il n'avait jamais laissé débuter. Il croit que le déménagement a sauvé sa famille, et pas uniquement lui, lui et sa scolarité interrompue, ses amitiés délaissées, les habitudes nocives, la vie mise entre parenthèses. Il a fallu beaucoup de temps, pour laisser Lei là où ils l'avaient perdu, pour accepter de ne plus être constamment hantés, même dans leur nouveau chez eux, 1073 miles away. 6. Il l'a rencontrée dans un bureau austère, la deuxième fois qu'on l'a réorienté vers une école plus adaptée, alors qu'il était au plus fort de son mal être. Quinze ans, plus de frère, nouvelle ville, pas d'amis, l'instabilité à la maison, le nouveau boulot qui prend du temps aux parents, l'ajustement trop lent, les mots qui manquent pour tout exprimer, la vie qui peine à suivre son cours. Et Clair qui déboule, elle sait qui il est (tout le monde le sait, l'histoire fait toujours plus vite le tour des couloirs d'école), d'où il vient et pourquoi il est là. Elle n'a pas peur d'aborder le sujet, ne passe pas quinze minutes à tourner autour du pot, ne lui demande même pas comment il va (la réponse est dans la question, et affichée sur ses traits). Elle ne lui apprend qu'à l'arrivée de la direction qu'elle est là pour l'orienter, sa guide désignée. Il rechigne, les premiers jours, premières semaines, puis ils ne se quittent plus. Cela se compte en années, d'amitié à couple et de couple à connaissances, puis rebelote, parce que la confiance n'est plus à construire et l'amour est déjà là, toujours là, même si cela ne fonctionne pas. 7. Il ne se prend en mains réellement, au-delà d'avoir retrouvé les bancs de l'école avec un an de retard, qu'à la fin de ses études. Lâché dans la vie qui devrait être celle d'un jeune adulte, avec des choix d'avenir à faire plutôt que de se laisser inlassablement porter par la voie tracée du parcours scolaire général. Il rejoint un groupe de parole, de survivants même si le mot lui laisse un goût amer, des abîmés, ça, il veut bien l'admettre. Sink or swim, alors il nage, peut-être que cela le réparera. Il n'est pas certain de sa légitimité, mais c'est aider qu'il veut, rendre un peu de ce qui lui a été donné, donner ce dont il a eu tant besoin. Il s'engage autant dans les mouvements étudiants que dans ses cours, déménage de chez ses parents, et quelque chose semble enfin faire sens, les pièces s'imbriquent. Educateur spécialisé quelques années, il décide d'enseigner in high school et retrace, en quelques sortes, chaque étape de ce qui a participé à son propre épanouissement. Sa survie, vraiment. 8. Stella, c'était il y a cinq ans — six ? C'était l'erreur de timing, l'idée qui semblait si bonne et presque romantique de vouloir profiter du moment sans sortir son téléphone pour réaliser le lendemain qu'il n'avait aucun moyen de la recontacter (du moins sans passer pour un stalker). Stella, c'est le temps qui manque, les signes qui disent oui mais les moments qui se perdent. 9. Il a changé de voie il y a un an, après plusieurs années à préparer le terrain à coups de formations. L'idée lui est venue de la rencontre avec un étudiant sorti de détention juvénile sans formation ni perspective, réveillant le souvenir de ses amis en décrochage, de son parcours qui ne tenait lui-même qu'à un fil. Il a failli passer à travers les mailles du filet, un numéro parmi d'autres, un pourcentage pour lequel on ne fait rien. Il a donc changé de vie, formateur dans les centres de détention, accompagnant certains centres pour jeunes dans le soutien scolaire et comblant les dernières heures de son horaire par son travail dans des collectifs militants.

¬ dans son sommeil, il ne tient pas en place. il se retourne sans cesse et retrouve généralement ses couvertures à moitié par terre. -- une bonne trentaine de tatouages, and counting. -- participe à une soirée bingo tous les jeudis dans une association. -- imbattable sur les chorégraphies de Rihanna dans just dance. -- apprenti dj, il a pu animer quelques soirées d'associations. -- les Ashmoor ont toujours vécu avec des animaux, une bonne habitude à laquelle il n'était pas envisageable de déroger. Tian vit avec deux chats, Lemon et  King Julien XIII, et "ses" chiens (Pop et Lock) profitent du jardin de ses parents mais sont postés sur les réseaux à la moindre occasion. -- aimerait dire qu'il ne regarde que des documentaires, mais il a un faible pour les feuilletons, télénovelas et autres dramas. s'il ne les suit pas assidument, il se laisse toujours absorber lorsqu'il tombe sur un épisode. -- parrain (gâteau) de la fille de l'un de ses cousins. -- cauchemarde encore régulièrement de feu et d'incendie. -- grand fan de hard rock et metal. on le retrouve à pas mal de concerts.