(romálon), inside your mind

I've been asleep in the driver's seat, I've been lost in my head for weeks tryin' to find what it is I need, too goddamn tired to sleep. and then there are other times I'm so aware that I lose my mind, I never feel I could get enough, so high that I can't stand up. - @avalon chambers

Il observe un moment son reflet dans le miroir, sa lèvre fendue dont le sang coulait abondamment quelques minutes plus tôt, la bosse qui se forme au niveau de sa tempe et réduit son champ de vision, l'hématome qui bleuit le long de sa mâchoire, et fuck !, depuis quand est-ce que ça ne lui était plus arrivé ? Il ne se bat plus, Román, il est adulte et plus calme, plus rationnel. Il a trop de choses à perdre, trop de choses qu'il aime assez pour aller contre ce qui semble être sa nature autodestructrice. Mais ce soir est le troisième de la semaine qu'il passe enfermé au bureau le nez dans l'un de ses dossiers et, malgré les promesses faites au début de leur relation et les conseils, plus récents encore, d'Ava, il se rend bel et bien malade. Il s'agit pourtant d'un schéma qu'il connaît et reconnaît, mais il se laisse à nouveau piéger, Rome, la réponse au bout de la langue, au bout du tunnel, il le sait, il le sent, et il se laisse progressivement happer par cette conviction, sa fierté lui bouffant la santé. Une sorte de punition, tant qu'il n'a pas trouvé, réussi. Trois jours qu'il mange à peine, dort à peine, et tout cela ici, en ajoutant à ses conneries le mensonge puisqu'il a dit à Avalon qu'il rentrait chez lui et jusqu'ici réussi à donner le change en disparaissant du canapé du bureau tous les matins. Pas compliqué, puisqu'il ne ferme pas l'œil.
Ce soir était celui de trop, à en croire sa nouvelle plastique. Il n'est descendu au bar qui fait le coin de la rue que quelques minutes, initialement pour prendre l'air, se remettre les idées en place, se réveiller, il prévoyait de marcher et bim, l'enseigne lui tendait les bras, il faisait froid, il a bu deux verres parce qu'il a croisé une connaissance. Ok, trois, parce qu'on lui en a offert un, juste avant que ça tourne mal, quelque chose pour remettre un sourire sur sa tête de déterré ou une remarque du genre. Mais ce n'est pas ça, qui l'a provoqué. Ou peut-être est-ce lui, qui a provoqué l'autre, dans son état actuel il ne doute pas de la possibilité. Les nerfs déjà à vif, la bouteille versée par dessus, il aurait aussi bien pu être des braises ravivées. Il n'est même pas saoul, Rome. Pourtant ça monte et ça rugit, et il donne un coup ou deux, et il se fait positivement ridiculiser par dessus le marché parce qu'il n'est pas certain d'avoir, lui, mis un seul coup dans le mille. Il croit qu'il s'est cogné la tête, ça l'a un peu réveillé, recadré. L'autre est resté à le regarder, de haut, et il a failli repartir, Román, profiter de sa position et du centre de gravité de l'autre pour le projeter au sol et lui rendre la pareille. C'est passé très près, mais il s'est seulement relevé, par il ne sait quel miracle, il est simplement rentré. Ou plutôt, il est revenu s'abriter au bureau et, après avoir évalué la gravité de ses égratignures, s'est affalé dans son fameux canapé. Celui où, cette fois, il trouve le sommeil, dossier grand ouvert à une page qui le nargue, les cafés abandonnés sur le parquet n'ayant pas la moindre chance contre son alcoolémie et la fatigue accumulée. Plus, il a été bien assommé.
Ce sont des pas qui le réveillent, et il ne sait pas l'heure, il a à peine conscience du lieu. Tout est douloureux. La vision qui lui apparaît l'est aussi. « What are you... » Ava, elle n'est pas censée être là. Ou peut-être que si, selon l'heure et le jour. Mais elle n'était pas supposée le voir, là. Lamentable et cumulant les travers. Que sait-elle ? Que devine-t-elle ? « Please don't look at me like that. » A mi-chemin entre quoi, le reproche et l'inquiétude ? C'est ce qu'il croit deviner et ça lui transperce le coeur parce que ce n'est que le début des surprises. Un an et trois mois, marvelous, il lui aura fallu un an et trois mois pour tout gâcher.

Another sleepless night. Et ce n’est pas tant qu’elle n’a pas sommeil (les journées sont de nouveau chargées et tout autant son corps que son esprit aurait bien besoin d’une nuit complète) qu’elle note un peu trop l’absence du corps à côté du sien. Troisième soir qu’il ne rentre pas et s’il l’a bien prévenue d’un message, s’ils se sont vus toute la journée, si elle sait que le lendemain il sera là, souriant et que rien n’aura changé, elle ne peut s’empêcher de s’inquiéter, Ava. Et si elle avait dit quelque chose, et si ce n’était que le début, les prémices d’une séparation qu’elle n’aurait jamais vu venir, qu’elle n’aurait jamais pu penser possible ? Est-ce ce qu’elle lui a offert pour son anniversaire, son teasing permanent sur son âge vieillissant, ou bien autre chose encore qui pourrait avoir provoqué cet éloignement de la part de son homme ? Elle essaie, Avalon, de ne pas trop y réfléchir, de ne pas y lire un message qui n’existerait pas, de ne pas laisser l’angoisse la gagner et occulter la rationalité de ses pensées mais c’est parfois plus difficile qu’elle le souhaiterait, comme cette nuit, et ça la tient éveillée. Parce qu’un soir, ça arrive. Deux, pourquoi pas. Mais trois ? Ça commence à devenir un pattern, non ? Et puis l’idée que ce soit James qui soit intervenu d’une quelconque façon, qui ait dit quelque chose qui ait fait réfléchir Román lui traverse le crâne et elle hésite à envoyer un message incendiaire à son frère avant de se retenir, le téléphone déjà en main et la conversation pourtant ouverte parce que si ce n’est pas la faute de James, elle pourrait briser un peu davantage la maigre relation qu’ils entretiennent et elle voit bien, les efforts qu’il fait (n’est-ce pas pour endormir sa méfiance ?) alors elle ne dit rien, attendra d’avoir interrogé Rom pour s’en prendre à son aîné s’il est responsable. Elle tourne dans le lit, un bras tendu à la place de l’homme qui ne s’y trouve toujours pas et elle soupire, se lève finalement pour engloutir un premier café. Autant s’activer puisqu’elle n’arrivera pas à dormir et c’est étrange, n’est-ce pas, de s’être tant habituée à la présence d’un autre dans son lit au point de ne plus savoir se reposer correctement s’il n’est pas là. Il est encore trop tôt pour se rendre au bureau aussi choisit-elle un livre au hasard dans sa bibliothèque mais la concentration n’est pas de mise et elle relit les mêmes mots inlassablement, sans parvenir à les imprégner dans son esprit. Elle envoie un premier texto à Rom, Ava, inquiète de ne pas avoir de ses nouvelles et rien, aucune réponse, ni dans la seconde, ni dans les minutes qui suivent. Elle s’efforce de ne pas céder à la panique — le jour est à peine levé, il dort peut-être encore, ou bien se prépare-t-il et peut-être même a-t-il été de planque une partie de la nuit et a-t-il du sommeil à rattraper. Elle lui trouve des excuses, se convainc que ça ne peut être que ça, qu’il n’y a pas d’autres raisons à ses absences répétées cette semaine. Mais la petite voix au fond de son crâne lui martèle le contraire et il devient difficile de l’ignorer tant elle prend de la place, de l’ampleur et les mots sonnent justes. La boule de l’angoisse s’est nichée dans ses entrailles et elle le sait, Ava, qu’elle n’arrivera plus à l’en déloger tant qu’elle n’aura pas vu son homme — tant qu’elle ne lui aura pas demandé de but en blanc, le coeur affolé et les mains moites, s’il compte mettre un terme à eux. Elle n’y tient plus, Ava, et sitôt l’heure à peu près acceptable pour se rendre au bureau elle s’habille en vitesse et s’y rend sur le dos de sa moto. Elle trouve la porte close et c’est peu habituel, Rom arrivant généralement avant elle et ça suffit à l’inquiéter (lui est-il arrivé quelque chose ? A-t-il vraiment bossé toute la nuit et oublié de lui demander d’ouvrir ? Doit-elle prévenir ses clients qu’il ne pourra pas assurer ses rendez-vous de la journée ?). La lumière, pourtant, est allumée dans le bureau du détective et, sourcils froncés, elle ne tarde pas à apercevoir une silhouette affalée sur le canapé. Elle n’a pas besoin de s’approcher davantage pour deviner de qui il s’agit, Ava, mais s’arrête brutalement quand elle aperçoit les traces de sang séché qui macule son visage, les boursouflures et contusions encore bleuies. Elle analyse le reste de sa silhouette, les sens en alerte et l’esprit aux aguets — s’assure qu’il n’est pas blessé ailleurs qu’au visage, que ce n’est pas plus grave qu’elle ne le pense, qu’elle n’a pas besoin de l’emmener à l’hôpital, d’appeler les urgences, qu’elle ne risque pas de le perdre parce qu’il aurait eu trop de fierté pour demander de l’aide mais non, hormis son visage, il a l’air intact, Rom. « When did that happen? » Mais elle le devine, en réalité, trop habituée aux blessures plus graves pour être incapable de faire une estimation. Elle le devine trop bien, ça doit dater de la veille au soir et peut-être que si elle n’a rien vu les jours précédents était-ce uniquement parce qu’il dissimulait mieux ses blessures. Elle envisage un combat illégal ou que sait-elle encore, ne sait pas exactement à quoi s’attendre, n’ose pas réellement le questionner. Elle tourne les talons, le pas plus affirmé et sec, mélange de colère et d’inquiétude assourdissante tandis qu’elle récupère en vitesse le kit médical qui se trouve dans l’un des placards de la cuisine et elle revient prestement auprès de lui, se tire un tabouret pour s’installer à côté du canapé, le repousse d’une main décisive à s’allonger. « Do not move. » C’est la colère qui la domine, en l’instant, mais sa gorge est nouée et ses yeux déjà plein de larmes qui n’osent pas rouler. Les questions sont multiples, elle ne parvient pas à trier et peut-être est-ce sans importance, peut-être même est-ce mieux si elle ignore tout, si elle n’en pose aucune. « You better have a fucking good excuse, Román so I’d recommend you make up one in a hurry. » L’usage du prénom en entier quand ça fait bien plus d’un an qu’elle emploie uniquement le diminutif, puis le surnom affectueux qu’elle lui donne. Elle sent sa voix qui tremble d’émotions et elle imbibe une compresse d’alcool qu’elle applique sur une première blessure, sans même le prévenir que ça va piquer — who cares, ça lui apprendra à abîmer sa jolie gueule. « Don’t tell me that’s what you’ve been up to all these nights. Tell me you’re not part of some fight club shit stuff or something like that ‘cause you know I’ll make you quit. » Le visage fermé et la voix toujours plus impérative que la seconde d’avant, elle appuie un peu plus fort sur la blessure pour mieux la nettoyer, aperçoit un mouvement de la mâchoire. « Hurts, uh? Hope you’ll learn your fucking lessons. » Le ton toujours plus mordant et incisif quand elle voudrait en réalité pouvoir s’effondrer et le serrer dans ses bras et s’inquiéter, lui demander ce qu’il se passe in his brain of his, pourquoi il ne lui parle pas, pourquoi ne lui communique-t-il pas ce qui ne va pas (si tant est que quelque chose aille mieux) ou si c’est elle, de sa faute à elle.
Elle a bien trop peur de la réponse, de la fin de leur histoire, pour oser le formuler.

- @avalon chambers

Il n'aurait même pas dû accepter de nouvelle affaire, son bureau croule sous les dossiers. Cela va du plus banal au plus saugrenu, voire carrément improbable et sans doute absolument imaginaire, mais il n'a toujours pas appris à refuser, renvoyer, préférant rassurer, mener une enquête sans intérêt, sans queue ni tête, et à ses propres frais, tout ça pour qu'un.e inconnu.e dorme sur ses deux oreilles. Il y aussi les classiques, quoi que déplorables, histoires de tromperies, ces surveillances qui lui prennent des journées entières pour obtenir des preuves qu'il aurait préféré ne pas être en mesure de présenter.
Il n'aurait pas dû accepter mais voilà qui est fait, trop tard, et peut-être que c'était dans le regard de cet homme dont la détresse l'a touché, peut-être que c'était l'idée d'être à sa place un jour, ou peut-être était-ce plus personnel, un défi, quelque chose de neuf et différent auquel il n'avait pas encore, en quasiment six ans, fait face. Une cold case, comme dans les films, les séries, et peut-être qu'il s'est laissé emporter, Román, peut-être qu'il n'est pas seulement empathique et généreux, mais un peu trop orgueilleux. La question mérite d'être posée et c'est ce qu'il fait, Rome, il la retourne sous son crâne entre deux flashbacks de sa soirée. Avant de sombrer dans un sommeil que son corps réclame depuis des jours, il pense à Ava. Il y pense tout le temps, à Ava, mais il y a cette culpabilité qui la met en permanence à la lisière de sa conscience, l'impression (la conviction) qu'il devrait lui dire quelque chose, lui expliquer, la mettre dans la confidence et peut-être demander son aide. Mais il s'agit de son affaire. Il se débrouille, Rome, toujours. Il s'est débrouillé, longtemps, par lui-même. Et puis, elle a ses propres dossiers, ses propres soirées interminables dans une voiture froide, et les nuits où elle mérite d'être tranquille tandis que lui s'en sait incapable.
Comme si elle l'était, tranquille. Comme si elle ne pouvait pas sentir que quelque chose ne tourne pas rond. Il a vaguement conscience du fait que ses actions l'impactent elle aussi dans une certaine mesure et que peut-être, sûrement, devrait-il faire en sorte qu'elle ne s'inquiète pas, mais, dans son habituelle tendance à penser qu'il peut tout contrôler (jusqu'à ce que tout lui glisse entre les doigts), il s'est mis en tête qu'il pouvait tout cumuler, jongler, le temps nécessaire. Pas besoin de faire peser ses préoccupations sur elle. Pas besoin de le considérer une seule seconde, parce qu'il fait tout tout seul, vit encore comme s'il n'y avait que lui. La porte du bureau s'ouvre et lui démontre tout l'inverse, s'il avait besoin d'une piqûre de rappel. Les pas s'arrêtent net après quelques enjambées seulement et il n'a pas besoin de se retourner pour en comprendre la raison. Il le fait, cela dit, puisqu'il ne peut plus se cacher. Il va bien, il aimerait le lui dire, mais ce n'est pas ce qui s'échappe de ses lèvres, ni ce que demande ensuite Ava. Et puis, c'est un mensonge, aussi en état soit-il physiquement. « Few hours ago », articule-t-il, et sa mâchoire le lance instantanément. Il s'efforce de ne pas grimacer, retient un grognement et se redresse complètement, assis, la tête qui lui tourne brièvement tandis qu'elle réapparaît avec la trousse de premiers secours. Il la laisse le forcer à s'allonger à nouveau, tout occupé qu'il est à analyser ses traits en quête de réaction, d'émotion — tout sauf ses yeux, qu'il se refuse à croiser. Il peut sentir sa colère, mais autre chose aussi, rien qui vaille en tout cas, rien qu'il n'ait jamais eu envie de provoquer. Il ne dit rien. Il lui dira tout, tout ce qu'elle veut, mais il ne trouve pas sa voix, les mots justes. Sa voix à elle n'est plus si assurée, et il ne croise toujours pas son regard, ne dit toujours rien tandis qu'elle nettoie ses plaies dans une tension insupportable. Il a presque envie de sourire de son ultime remarque, d'ajouter un commentaire, yes it fucking hurts, mais ses yeux restent baissés et ses muscles refusent de s'étirer en un sourire. Une chance pour lui, sans doute. « It was just some guy, at the bar. » Là, il hausserait les épaules, s'il le pouvait. « Not that I was on a bender or anything, you know I don't... I'm not good with drinking. My head gets... It's just bad, and I know that, and I'm an idiot. » Nul doute qu'elle sera d'accord avec cette dernière affirmation. « You don't need to do that », finit-il par ajouter, rassemblant enfin le courage de refermer ses doigts autour du poignet qui s'agite autour de son visage.

Le monde est devenu silencieux, assourdissant, depuis qu'elle a poussé la porte du bureau de Rom. Elle ne parvient qu'à distinguer les battements de son palpitant, le reste comme dans un flou sonore qui rendait le reste plus lointain, moins important. Elle ne voit que Rom, les hématomes, la croûte de sang séché sur son visage, une joue tuméfiée et il lui semble que même si elle le voudrait, elle ne pourrait plus jamais se défaire de cette image. Les émotions se succèdent, se superposent les unes aux autres et elle ne cherche plus à faire le tri, Ava, entre colère et inquiétude et rage et envie de pleurer et de hurler et de lui rajouter quelques bleus sur sa (d'ordinaire) si jolie gueule. Elle sent l'ensemble juste sous la surface, prêt à éclater au moindre mot, moindre signe alors elle puise dans ses réserves, Avalon, jusqu'à retrouver la militaire qui sommeille au fond d'elle-même. Les gestes mécaniques, l'esprit comme embrumé d'un voile épais qui contrôle les émotions qui bouillonnent pourtant toujours, là, dans son cœur et ses entrailles. Il a au moins l'intelligence d'avoir l'air coupable, Rom, et c'est tant mieux. L'intelligence, aussi, de ne pas envisager de mentir tandis qu'il répond à sa question sans détournement et c'est sans doute qui l'empêche de faire demi-tour, claquer la porte et se réfugier ailleurs mais d'aller récupérer la trousse de secours pour se charger de ce qu'il semble avoir été incapable de faire, à son retour. Les pensées, elle ne peut pas les arrêter. Imagine déjà que ce n'est pas la première fois qu'il rentre dans cet état, qu'elle n'a pas été assez attentive ou même présente, trop prise par ses dossiers, ses vacances, l'arrivée de James en ville. A-t-elle manqué des signes avant-coureurs ? Aurait-elle pu empêcher whatever this is d'arriver ? Elle se tire une chaise pour s'asseoir à bonne hauteur et nettoyer les plaies qu'elle aperçoit, qui ne sont que superficielles. Elle a vu pire, sans doute que lui aussi, mais ça ne change rien au tressaillement de son cœur à chaque fois que ses yeux se posent dessus. Ca ne change rien à la douleur qui vrille son être quand ses doigts pourraient caresser les boursouflures. Alors elle prend la parole, Ava, du ton impérieux qu'elle n'a plus utilisé depuis longtemps, plus avec lui en tout cas, le regard sec et colérique qu'elle ne tourne pas en direction de ses yeux bruns. Elle a besoin d'être en mesure de réfléchir et sait qu'elle en serait incapable si elle venait à voir les émotions qu'il masque. La réponse donnée est loin de lui convenir ou d'être suffisante et la tension monte encore d'un cran, les dents plantées dans sa langue pour ne pas répondre qu'idiot est encore bien en-deçà de la vérité le concernant, là, à cette seconde précise. Elle inspire, le souffle expiré avec plus de force et de véhémence qu'elle ne le contrôle mais ce n'est que lorsque les doigts de Rom se referment autour de son poignet qu'elle s'arrête enfin.
Explose.
« Oh yeah? And what I am supposed to do, then? Watch you bleed out until you - what, exactly? Die? Watch you suffer all day long because you're fucking stupid when you act like that?! Or what? Do you want me to call an ambulance and let the world know how reckless you are? » Elle ancre finalement son regard azuré dans les yeux de Rom avant de libérer son poignet d'un geste brusque, de lui jeter les cotons et compresses au visage. « No, you're right. Do it yourself, you've been so good at taking care of yourself so far. » Elle se sait injuste mais l'inquiétude prend le pas sur la logique, la cohérence, le reste. Elle se lève, s'éloigne de deux pas, une main se pinçant le nez, l'autre à sa taille.
Breathe in, breathe out. 
« Some guy, at the bar? So what, now? You just go around, getting beat up at some random bars? Or beating up some guy? Nah, you'll have to do better than this, Román. Better than you not being good with drinking or your head gets bad. Nobody is good with drinking and yet, half of them don't come home, no excuse me, come back to their fucking work looking like this. What the fuck happen? Is this a case? A client? What? » Elle se force à se taire, à inspirer une nouvelle fois, se détourne pour ne plus le voir comme ça - et qu'il ne la voit pas davantage alors que les larmes perlent au coin de ses yeux et que sa voix menace de la quitter à tout instant, de monter dans les aiguës. Les paupières closes, elle passe une main dans ses cheveux, essuie ses yeux d'un geste brutal, souffle, retrouve les conseils de l'armée, cette capacité à se maîtriser alors que son coeur se calme enfin. « You need to talk to me, Rom. I can't... This cannot happen. We work together, if this is work-related, you need to tell me so we can find a solution together. And... » Les talons glissent sur le sol alors qu'elle prend sur elle pour lui faire face une nouvelle fois. « And we are together so if this isn't work related you also need to tell me. I am your partner, I'm here. I'm here to help, I'm here to support you but I can't do it if you won't talk to me. » Et ça sonne comme un reproche, malgré elle.

- @avalon chambers

Il sait toujours ce qu'il fait, Román, ou du moins c'est l'impression qu'il donne. Essaie de donner. Lui sait que c'a rarement été véritablement le cas, bien au contraire, il a toujours tâtonné, essai échec, beaucoup d'échecs. Raté sur raté, déceptions pour lui, et puis surtout ses proches. Les traits de parents, à bout, gravés sous ses paupières, et il les voit, depuis la veille, lorsqu'il ferme les yeux, le chagrin, l'inquiétude, le désemparement, l'abattement. Ses sœurs, qu'il a laissé gérer, auprès desquelles il ne s'est jamais excusé. Ce serait avouer qu'il a un problème et, Rome, cela fait quelques belles années qu'il l'a glissé sous le tapis, le problème. Il aurait presque pu l'oublier et, Ava, elle n'y est pas pour rien. S'il s'est amélioré, ou du moins s'il a un peu changé, c'est en partie grâce à elle. Il n'a pas vraiment eu à faire tant d'efforts, d'ailleurs.
Et puis le voilà qui régresse. Coupable, Román, oui, coupable, mais surtout honteux. Plus dépité qu'elle l'ait vu ainsi que d'être dans cet état. De s'être mis dans cet état. La sensation n'est pas nouvelle, elle serait même naturelle, familière. Et l'arrière goût métallique, du sang dans la bouche, est toujours aussi âcre. Mais moins que le coup porté par les mots d'Ava. Lui n'en a que peu à offrir, pour s'expliquer, sans se justifier. Sans se dévoiler, non plus, car où commencer ? Il avait cru tout bonnement éviter cette conversation, tout allait si bien.
Fuck.
« Babe... » Le surnom est étouffé par le ton qui monte, monte, et ne semble plus vouloir redescendre. Il comprend. Il se surprend à hocher la tête, enfant grondé qui, pour la première fois, semble acquiescer. Mais il n'a plus l'âge d'accepter le sermon et d'espérer que tout soit ensuite oublié, et elle n'est pas un parent déçu.
You've been so good at taking care of yourself so far, ça pique, et pas pour les raisons qu'elle doit s'imaginer. He was, he really was. For a while. Et puis, quand il échoue, Rom, il échoue fort. Il dégringole, et il n'y a cette fois personne d'autre pour ramasser les morceaux. Lui, il ne sait même pas par où débuter. Alors il reste silencieux, sans doute la meilleure chose à faire, pas que l'envie d'intervenir manque, mais il n'a rien d'intelligent à dire, rien de rassurant ou plaisant à entendre non plus. Il ne s'est jamais tout à fait admis la chose à lui-même, comment l'avouer maintenant ? Il ne cherche même pas comment la formuler de façon à ne pas la faire fuir, mais comment la formuler tout court. Il n'en a jamais parlé, pas même à la maison, pas après qu'on ait mis un nom dessus. Une fois qu'ils ont pu nommer le démon, ils l'ont ignoré. Il faut croire que cela n'a pas fonctionné.

La pièce trouve soudainement une atmosphère moins chargée, peut-être une bonne déflagration était-elle nécessaire. Il n'en est pas moins tendu, Rome, le coeur qui s'agite contre ses côtes tandis que le moment de finalement reprendre la parole approche. Tant de choses à dire, si peu de mots, si pas aucun. « I'm sorry. I'm not just saying that, I am sorry, I know exactly how dumb and screwed up this is. It's unfair, I owe you better than this, and as badly as I want to share things with you, sometimes I... » Il se mordille l'intérieur de la joue en cherchant les termes adéquats. « It's a slippery slope, I don't even notice I'm fixating on stuff and then it's on, and I make myself sick, I don't sleep, I don't... I'm prone to anger, if you will. And all that stuff doesn't help, I'm tired, I'm frustrated, then... » Il déglutit, se frotte la tempe du bout d'un ongle, soupire. Son regard accroche le front d'Ava, à la lisière de son arcade, mais toujours incapable d'affronter ses pupilles. « I go berserk », finit-il par articuler, un rire sans joie dans le fond de la gorge. Il se risque enfin à le regarder dans les yeux, cela fait jaillir un flot imprévu d'autres déclarations: « I love you. I know you know that and I know that's not the subject here but I fucking love you and this... That's not me, not anymore. Ever, actually, that's not me, that's... » Sa voix se brise et l'arrière de son crâne trouve le dossier du sofa, ses yeux se rivant au plafond le temps que les larmes naissantes se dissipent. « Fuck. I don't want you to forgive me because I look miserable, be fucking mad, but know this got out of hand and I'm gonna clean it up, okay ? Everything. »

Dans son crâne valsent les conseils autour de la communication prodigués par des experts de négociation de l’armée. Les mots et leur importance, bien sûr, mais également celle de la forme — et puis, vient le reste. L’intonation, la posture, les expressions même les plus petites. Avalon, elle a la théorie ancré dans un coin de sa mémoire, le souvenir qui lui revient, vif et proche ; mais si elle a été en mesure d’appliquer chaque conseil à l’époque où elle était encore un soldat, il n’en est plus rien, maintenant. Elle perd. Il lui semble même qu’elle perd tout ; pied, le contrôle et le lien avec Rom. Elle l’imagine déjà si loin d’elle qu’elle en a mal par anticipation, le coeur tordu et comme essoré et elle réprime les larmes qu’elle refusera de laisser couler devant lui, qu’elle n’est pas certaine de s’autoriser à verser un jour. Pour l’instant, elle n’a que la colère dans les veines et les pensées, ce venin qui lui occulte le reste, qui rend le silence de Román plus agaçant encore. Elle ne décolère plus, Ava, les gestes irréfléchis tandis qu’elle arrête de le soigner — qu’il se démerde donc, puisque c’est ce qu’il veut. Elle se sait trop amère, à la limite du sarcasme mordant et malveillant, de l’agressivité passive qui ne demande qu’à s’échapper de ses lippes pour venir le piquer plus fort encore. Le faire réagir quand il lui paraît si amorphe — belle ironie puisque ce n’est certainement pas une atrophie musculaire qui lui aura valu cette gueule et ces hématomes. L’éloignement, ne serait-ce que de quelques pas, semble aider à l’apaiser momentanément. Elle souffle, Ava, inspire et s’oblige à l’affronter du regard. Les larmes toujours au bord des cils, elle est plantée bien devant lui, si haute pour une fois et ça lui semble ne pas aller, ne pas être normal, comme si elle prenait soudainement l’ascendant sur lui, là, profitant de sa faiblesse pour s’imposer quand ils se sont toujours considérés comme des égaux. La réalisation la fait flancher, son pied recul d’un pas et ses doigts ont vite fait d’attraper la chaise habituellement destinée aux clients pour la tirer jusqu’à elle. Il y a pourtant bien une place aux côtés de Román, sur le canapé mais elle ne compte pas s’y installer, préfère ne pas se trouver si proche de lui de peur de ne plus savoir se maîtriser tout à fait, a peur de simplement craquer et fondre en larmes, là, et que ça ne fasse qu’empirer les choses. Elle est assise, Ava, et lui prend enfin la parole. Les excuses lui arrachent une moue sarcastique, déjà prête à cracher quelques mots venimeux mais il devine, Rom, ou semble deviner en tout cas et elle ravale son agressivité. Il essaie, qu’elle veut se convaincre alors même que la colère continue d’affluer dans ses veines et s’alimente toute seule. L’amertume reste, toutefois, des ces explications qui n’en sont pas, de ce qui manque pour qu’elle puisse avoir réellement l’impression qu’il s’agisse d’excuses et non pas de justifications.
Breathe in.
Then share them, qu’elle se retient de lui ordonner, stop acting like a fucking boy and actually talk, say things. It ain’t that complicated. Les mots qui lui martèlent le crâne avec fureur tant ça lui paraît aisé — et elle n’est pourtant pas le genre à se confier ou à partager ses pensées si facilement elle-même. Mais si elle y est parvenue, pourquoi pas lui ? Ses doigts se tordent sur ses genoux, sa jambe commence à s’agiter ; leurs regards ne se croisent pas, lui évitant, elle bornée. Ses yeux rivés sur son visage tuméfié et qui continue de lui tordre le coeur. Elle patiente, Ava, les pensées en ébullition sur tout ce qu’elle pourrait dire, le tri qu’elle essaie de faire. Enfin, les yeux s’accrochent et elle décèle les émotions qu’il n’admet pas ressentir, Rom. La culpabilité prend son aise dans sa poitrine, consciente de ne faire ressortir que la colère de la situation quand il se dévoile plus vulnérable qu’il ne l’a probablement été jusqu’à présent. Elle le sait bien, Avalon, que ce n’est pas lui — elle ne peut que le savoir puisqu’elle a passé des années à ses côtés, à l’observer, à apprendre à le connaître et voilà bien la première fois qu’elle découvre cette facette de lui et elle ne peut pas accepter l’idée que ce soit qui il soit et qu’elle ne l’ait juste jamais remarqué. Non, il n’est pas comme ça, Rom, il ne peut pas l’être. Une vague d’apaisement l’enveloppe avant de rapidement disparaître quand il reprend la parole. A son tour de laisser éclater un rire sans joie, le rire sec. « Oh thank you, I had no idea I needed your permission to feel anger, to be fucking mad at you for acting like a stupid reckless teenager. Really Román, thank you so much for letting me be! » La voix qui claque dans l’air, le regard encore plus durcit que la seconde précédente. « Who the fuck do you think you are, exactly?! » Elle n’a jamais laissé quiconque lui dicter qui elle doit être, ce qu’elle doit vivre, ce qu’elle doit ressentir — elle a dédié sa vie à réclamer sa liberté d’exister, à combattre ces injonctions patriarcales qui auraient voulu la brimer, elle et toutes les autres femmes. Elle n’a pas laissé l’armée lui marcher dessus sous prétexte de son genre ; elle ne compte pas laisser son mec prendre ce rôle-là. « Lemme be very clear on one thing, Román. I’ll forgive you if I chose to and when I decide to. Not because you want me to forgive you. I am my own person, you have no right to dictate how I am supposed to react in this situation. You have no right to allow me to be mad or angry on anything, really. Because every fucking emotions that I’m feeling right now, I’m allowed to feel them whether it suits you or not! » C’est à peine si elle sent encore ses jambes, Ava, et c’est sans doute ce qui l’empêche de se lever d’un bond, de simplement partir en le laissant se démerder pour se soigner et réparer ce qu’il vient de promettre. « You really wanna share things with me? It’s simple, just do. I hear you when you say you don’t realize right away that you’re hyper focusing on stuff, I’ll give you that. But when you see that you’re not sleeping, when you realize you’re getting frustrated, at this point, you can come to me and talk to me. And together we’ll find a solution. Because guess what, Rom? That’s what couples do! You’re not alone anymore and coming to me so I can try to help is working for the relationship. But keeping things to yourself and going fighting in bars, it’s working against me. And we’re not supposed to be ennemies, quite the opposite. » La maîtrise d’elle-même qui flanche tandis que sa voix monte légèrement dans les aiguës, qu’elle monte d’un cran et laisse apercevoir un morceau de colère plus vif. Elle tourne la tête, ferme les yeux.
Breathe out.
« I am going to clean your agenda for today. I’ll take in as many of your rendez-vous as I can but you go to your place and you clean yourself up. Do come to work later because clients can’t see you looking like this and quite frankly, I don’t want to see you today neither. » Le calme retrouvé, la voix froide. L’usage de ses jambes revenu, elle se lève finalement de sa chaise et lui tourne à moitié le dos pour attraper l’agenda sur le bureau et d’ores et déjà organiser la journée — elle a bien quelques créneaux et si elle mange en dix minutes, elle pourra même en caler un autre sur la pause déjeuner. Mais les pensées continues de s’entrechoquer et elle doit prendre sur elle, Ava, pour ne pas lui montrer les doigts qui tremblent, les larmes qui reviennent — elle veut juste qu’il parte.